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Jean-Pierre Mocky fait bande à part dans le cinéma français.
Chaque fois qu'il tourne un film (en moyenne un par an depuis vingt ans) il y a quelqu’un pour s'en étonner. On le dit inclassable. Ce qui n'est pas pour lui déplaire.
Après s'être colleté avec bien des tabous, le voilà qui s’attaque à San Antonio. Ou plus précisément à Frédéric Dard.
En attendant la sortie de Y a-t-il un Français dans la salle ? nous avons voulu donner la parole à cet enfant terrible de notre cinéma national.
Gilles Dagneau s'efforcera ensuite de prendre la mesure de cette oeuvre curieuse et catholique.

Pendant la période où vous étiez acteur, aviez-vous des activités annexes ? J’imagine que chaque film ne représentait pas énormément de jours de tournage ?

J'ai fait beaucoup de métiers parce que j'étais de parents pauvres. J'ai commencé dans le cinéma, très jeune, en tournant dans la zone libre. J'étais môme et participais à des films en tant que figurant. Parfois, on me donnait un rôle supplémentaire, une petite phrase à dire.
Je suis donc rentré par la petite porte. J'ai connu tes costumes qui sentaient la naphtaline... cette odeur qui n'existe plus aujourd'hui. A l'époque, il y avait une véritable maffia des figurants : c'était un métier.
Ensuite, je suis allé au Conservatoire, à Paris, et c'est là que j ai eu Jouvet comme professeur. Je servais de larbin à Jules Berry ou Stroheim…
J'ai été figurant dans l’homme au chapeau rond, avec Raimu, Rêve d'amour, avec pierre-Richard Willm, l'Affaire du collier de la Reine...
J'étais donc dans une situation de jeune comédien débutant qui ne travaillait qu'avec des monstres sacrés.
Ayant été fasciné par eux, quand j'ai voulu faire du cinéma comme réalisateur, je les ai presque tous employés. J'al été élevé avec des têtes d’affiche comme Jouvet ou Harry Baur. Et moi, je me considérais comme une petite merde, dans la mesure où je croyais ne jamais pouvoir atteindre la cheville de ces grands noms.
J'étais paralysé, fasciné par le métier, par les films, dont je ne reconnaissais pas les défauts d'ailleurs. Je voyais les films à travers le vedettariat. ll suffisait que Raimu, Harry Baur, Pierre Fresnay ou Fernandel entrent pour que je bégaye en leur parlant : aujourd'hui, personne ne bégaye devant moi. Je n'ai pas encore vu un comédien bégayer devant moi (rires).
Je faisais effectivement des métiers différents puisque je ne jouais pas tout le temps. Et puis, un jour, j'ai fait un film qui s'appelait le Paradis des pilotes perdus où je jouais aux côtés d’Henri Vidal, Daniel Gélin, Michel Auclair. C'est Georges Lampin qui m'a donné ma première chance au cinéma. Puis j'ai tourné dans Orphée de Cocteau (je dis une phrase), Deux sous de Violettes de Jean Anouilh (là, je dis deux phrases), le Rouge est mis où je faisais le fiancé de Girardot, Maternité Clandestine, le Gomte de Monte-Cristo, avec Jean Marais, le Gorille vous salue bien.
Lino Ventura en était à ses débuts et je lui faisais répéter ses scènes. ll ne connaissait pas très bien son métier, à l'époque, tandis que moi, j'avais fait le Conservatoire.

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Comment êtes-vous devenu une vedette en ltatie ?

En 1952, Antonioni est venu au Conservatoire de Paris pour le casting de son second film qui s'appelait Nos fils (l Vinti). C'était un amalgame de faits divers (italiens, français, anglais), sur les blousons dorés de l'époque. J'ai été choisi pour incarner le jeune beau parleur, le type cynique que j'ai repris vingt ans plus tard dans Solo.
Ensuite, j'ai tourné avec un disciple d'Antonioni, Maselli, dans un film avec Lucia Bose et lsa Miranda, qui j jouait le rôle de ma mère (1 ). lsa Miranda était également un de ces monstres sacrés qui avait tourné Au-delà des grilles, avec René Clément, et dans tous les vieux films américains, avec Ray Milland, par exemple, qui m'avaient ( assis ), lorsque j'étais cinéphile. Alors, jouer avec I'aventurière de Hôtel impérial, c'était pour moi quelque chose d'hallucinant, le rêve parfait.
J'étais donc devenu une star en Italie, pendant très peu de temps d'ailleurs. Les ltaliens adoptent les étrangers très facilement. J'avais une Ferrari, une maison sur le Tibre, je donnais des réceptions, j'avais un valet de chambre : c'était incroyable ! !
Ma photo était dans les journaux, car le film d'Antonioni était sorti en ltalie mais restait interdit en France.

Votre chance est souvent venue de I'ltalie ?

C’est vrai. Mais ma vie a été en quelque sorte troublée par I ‘interdiction du film d'Antonioni. J'avais eu ce rôle principal, merveilleux, mais le film n’a jamais été projeté qu’à la cinémathèque. Les Egarés (Gli Sbandati), non plus, n'a jamais été projeté en France. Le témoin a bien marché en ltalie,
contrairement à la France. J'ai eu du succès en ltalie, à la fois comme acteur et metteur en scène. Solo, par exemple, a été acclamé au Festival des Nations. J'ai eu six mille personnes, un soir qui me faisait signer des autographes sur les mains. Ce qui ne s’était jamais produit en France. J'ai connu une espèce de feu-follet en ltalie, jamais en France, à part la Période Solo, I'Albatros, l’Ombre d'une chance. Mais, en tant qu’acteur, je n'ai jamais eu tellement de succès ; on ne m'a même pas hissé au niveau d'un sous-Belmondo ou sous-Delon. On m'a plutôt considéré comme un auteur.

Et Visconti ?

C'était l'époque où j'étais à Rome et où je m'emmerdais. J'étais sous contrai avec une maison italienne qui m’employait, avec laquelle j'ai tourné Graziella. J’avais le rôle Principal. Je n’avais rien à foutre entre les films que je tournais et j'ai fait de l’assistanat avec Fellini, Visconti. J'ai appris beaucoup de choses parce qu’en Italie, les stagiaires sont presque des assistants.

Comment reste-t-on cinéaste indépendant pendant plus de vingt ans ?
En 1956, j'avais été engagé par lngrid Bergman elle-même, pour jouer une pièce qui s'appelait Thé et Sympathie, au Théâtre de Paris mis en scène par Raymond Rouleau, qui était à l’époque le plus grand metteur en scène français de théâtre. Et brusquement, il a foutu le camp pendant les répétitions car on lui avait enfin donné l’occasion de tourner le film pour lequel il s'était battu pendant des années: les Sorcières de Salem avec Montand et Signoret. A cette époque, il y avait le vedettariat des metteurs en scène de théâtre. ll y en avait trois ou quatre à Paris: Pierre Dux, Raymond Rouleau et Jean Mercure qui a été appelé à la rescousse et ne m'a pas du tout vu dans le personnage. En réalité, il voulait mettre un comédien qu'il connaissait.
J'ai été éjecté de I’ affaire et j'ai fait un procès' qui m'a rapporté cent cinquante mille francs. C'est avec cet argent que je me suis établi une petite société de participation dans laquelle j’ai regroupé Piérre Brasseur, Paul Meurisse, Anouk Aimée, Georges Franju, Charles Aznavour et Bazin. On a fait la Tête contre les murs.

...que vous n'avez pas réalisé ?

Non, parce que j’étais trop jeune.et que j’ai eu la trouille, soudain, de diriger Brasseur, Meurisse… toujours cette peur que j'avais des grands acteurs. En plus, j'étais intimidé par Anouk Aimée. J’en pinçais pour elle, qui ne partageait pas mon amour d'adolescent.' Le producteur n'avait pas trop confiance en moi non plus. Finalement j’ai cédé ma place à Franju qui, lui aussi, faisait ses débuts, mais il était plus âgé. ll avait une réputation, une aura derrière lui, qui impressionnaient Brasseur et Meurisse.

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Nous sommes donc en 1959, et pourtant on ne vous a jamais associé à la Nouvelle Vague ?

J'ai précédé de quelques mois la Nouvelle Vague, à laquelle je n'ai jamais été assimilé pour la bonne raison que j'avais eu une formation artistique d'acteur, assistant et metteur en scène de théâtre, alors que les gars issus de la Nouvelle Vague n'étaient que des journalistes. Il y avait donc une scission.
Robert Hossein et moi étions des professionnels du théâtre et du cinéma, formés au Conservatoire et sur le tas. Eux étaient soit des journalistes intelligents, soit des gens bourrés de fric comme les fromages Bombel, les sucres Beghin Say…
Moi, étant de parents pauvres, je n'ai jamais eu d'argent autre que ces cent soixante mille francs. Si je n'avais pas gagné ce procès contre Madame Popesco, encore un autre monstre sacré, défendu par Pierre Fresnay, qui était mon arbitre au syndicat des acteurs, j'aurais été le partenaire d'lngrid Bergman, ce qui m'aurait amené d'autres contrats de cinéma. Au lieu de cette carrière d'acteur, j'ai bifurqué. Avec I'argent du procès, j'ai fait une partie de ma carrière.

Vous ayez toujours réinvesti cette somme de départ ?

La Tête contre les murs a été fait entièrement en participation. Le film a eu douze prix mais s'est cassé la gueule en beauté. ll n'y a eu personne dans les salles. Ça a été un bide énorme. ll a fait 45 000 entrées, ce qui était très peu, car le cinéma marchait mieux que maintenant.
En 1972, je me suis retrouvé devant le même cas que pour Thé et sympathie. J'avais acheté les droits des Seins de glace à un journaliste qui voulait le faire avec Abraham Polonsky. Je voulais jouer le rôle qu'a joué Delon par la suite. J'avais confié le livre à Jacques Dorfmann qui produisait alors Traitement de choc et qui, par la suite, est devenu mon ami et le producteur de I'Albatros, le Témoin et aujourd'hui Y-a-t-il un Français dans la salle ?
Dans l'hôtel où logeait l'équipe de Traitement de choc, Delon, un soir, tombe sur le scénario qui m'appartenait, le lit, et trouve ça génial. Il m'engage comme metteur en scène et, dans tous les journaux, on a lu : « Jean-Pierre Mocky va diriger Alain Delon ». Au début, ça s'est très bien passé. Delon m'appelait « Monsieur », ce qui était très impressionnant pour moi car c'était une star.
Nous avions signé un contrat ensemble et, à la veille de tourner (j'étais en train de m'occuper des décors à la Victorine), il me téléphone et me dit : « Si on Prenait Mireille Darc » , j’ai répondu : « Ce n'est pas possible, on ne peut pas faire ça ». Moi, je pensais à Mia Farrow et John Finch, pour l’autre rôle masculin. Delon a répondu : « Ah bon »,. Quelques jours plus tard, il dénonçait mon contrat et me virait. J'ai touché une somme d'argent fort intéressante pour céder ma place.
Plus tard, j'ai encore touché de l'argent pour céder ma place à Boisset dans Folle à tuer. Et ça se termine par la Zizanie pour lequel De Funès m'a viré. ll y a eu procès et j'ai encore gagné.
ll y a une espèce de destin, dans ma malchance, qui me protège. A chaque fois que je suis sur le point de réaliser quelque chose d'important avec une super-star, ça s'arrête et ça me donne de I'argent pour faire mes films. Les gens se demandent toujours : « Comment Mocky a-t-il pu tenir pendant 23 ans ? » . C'est parce que, à la veille de faire un tabac, on m'éjectait. Alors je faisais Un linceul n'a pas de poches ou I'lbis rouge. Le piège à cons, je I'ai fait avec I'argent de la Zizanie. Pas tout à fait, mais presque.

C'est de cette manière que vous avez évité de devenir un metteur en scène à la solde da grands acteurs ?

Oui, et tous les grands acteurs avec lesquels j'ai tourné, que ce soit Bourvil, Fernandel, Michel Simon, Dufilho, Brasseur, Meurisse, Poiret, Serrault, Francis Blanche, Lonsdale, tous ont participé. Ge sont des gens qui ont travaillé vraiment avec moi pour faire des trucs qui les intéressaient.
Jamais je n'ai fait un Bourvil ou un Fernandel tel qu'eux le souhaitaient. Je n'ai jamais accepté qu'on me guide, qu'on me dise : « Monsieur, je veux me mettre là et dire ça » .
Même avec Sordi, qui était pourtant très difficile, je suis arrivé à avoir raison de lui. Ce qui a fait marcher le film en ltalie, c'est que les gens ne I'ont pas reconnu. ll était complètement différent de ce qu'il faisait d'habitude. Il était moins grimaçant. Avec Fernandel, aussi, j'avais gommé toutes les grimaces, à tel point que, lorsque les exploitants ont vu le film, ils ont déclaré « Ce n'est pas un Fernandel » .

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Revenons à votre premier film mis en scène : Les Dragueurs

Je me suis associé avec Jacques Charrier. C’est là que j’ai déçu Belmondo, qui avait été mon camarade de Conservatoire, et qui m'en a voulu de ne pas l'avoir utilisé dans les Dragueurs. Dans les filmographies de Belmondo, vous lirez toujours : " A débuté au théâtre de la Huchette avec Jean-Pierre Mocky dans le rôle principal, alors qu'il ne tenait qu'une hallebarde ". Pour bien indiquer que lui, maintenant, est devenu une super-star et que moi, qui avait le rôle principal à l'époque, je ne suis plus rien comme acteur (3).
Par la suite, au moment des Dragueurs, les producteurs m'ont dit : « Si vous prenez Aznavour, vous ne pouvez prendre Belmondo pour I'autre rôle parce qu'ils sont laids tous les deux. Et les gens ne viendront pas voir deux hommes laids ; il en faut un sur les deux qui soit beau. ». lls m'ont imposé Charrier, en quelque sorte, avec lequel je me suis associé, ainsi qu'avec le producteur Joseph Lisbona.
J'ai retrouvé Anouk Aimée dans le rôle d'une boiteuse. J'étais peut-être déçu qu'elle ne soit pas amoureuse de moi et je I'ai handicapée. En fait, c'était I' histoire vraie d'un dragueur qui drague une fille, à la terrasse d'un café, et, au moment de I' emballer, s'aperçoit qu'elle a un pied-bot. Et tout son amour pour elle se transforme en peur des responsabilités : il s'enfuit lâchement. C'est une histoire qui m'est arrivée.
Les Dragueurs était un film autobiographique qui a fort bien marché, contrairement à la Tête contre les murs. C'était mon premier film signé et j'avais eu Maurice Jarre pour musicien, Edmond Séchan comme directeur de la photographie, Max Douy à la décoration et quelques autres.

Pas la presse...

J'ai été soutenu par Doniol-Valcroze, mais, dans I' ensemble, la presse a massacré le film.

Souvent, dans les critiques de vos films, on note une honte d'avoir ri. Comment expliquez-vous cela ?

Comme tous les Polonais d'origine, nous sommes taxés de mauvais goût. On dit « soûl comme un Polonais » ou « avoir mauvais goût comme un polonais ». En principe, le Polonais est un paysan ; il est un peu vulgaire et scato. Les Slaves se tiennent moins bien que les Latins. lls sont moins raffinés.
Aujourd'hui, dans la Soupe aux choux, on commence par un concours de pets. Ça paraît normal, on en rit. Dans les films que j'ai faits, le mauvais goût était simplement de montrer ces gens tels qu'ils sont.
A propos de Un couple, Cocteau disait, en écrivant à Queneau et à moi : « Les gens ont horreur de se voir dans un miroir. La vulgarité les repousse parce que c'est leur propre vulgarité qu'ils voient. L'Express avait écrit, sous la plume de cette charmante Françoise Giroud, qui m'a poursuivi de sa vindicte pendant des années, que ce film était vulgaire « parce qu'il est censé représenter les gens. » Et alors ? Ils vont au cabinet comme tout le monde. lls sont dégueulasses comme tout le monde. Un type qui travaille à L'Express ne peut pas trahir son copain ! Seulement quand on le leur montre, ils le prennent pour eux : « Mocky nous montre ça, donc il sait que c'est ainsi. » Bien sûr que je le sais, puisque tout le monde le sait. C'est tellement stupide comme réaction.

Dans Un couple, les personnages s'expriment comme on s'exprime en 1981. Et le film date de 1960 !

Parce que Queneau était un homme en avance. Le problème de Un couple est très moderne. Si vous dites à une femme que vous la baisez moins bien qu'il y a deux ans, elle commence à se créer des problèmes, à se faire baiser par un autre.
La franchise aboutit à la destruction. C'est ce qui est terrible dans un couple. Vous ne pouvez dialoguer. L'homme et la femme sont tellement différents, qu'à partir du moment où vous dites « blanc », à une femme, elle le prend pour « noir ». C'est terminé. Ça se déglingue, alors qu'au début, ils avaient juré de se dire la vérité. C'est un sujet éternel. Dans vingt ans, ce sera toujours pareil. Queneau était un précurseur. Je crois que ce sont des films qui resteront.

Pour ce film, vous ayez eu le soutien de nombreuses personnalités.

Oui, qui ont beaucoup aimé le film : Anouilh, Cocteau, Félicien Marceau, Marcel Aymé, ou des jeunes comme Françoise Sagan. ll y a une chose qui s'est perdue, c'est l'aide des grands aux jeunes. Aujourd'hui, cela se perd un peu. Moi, je n'ai pas aidé le film d'un autre depuis cinq ans. Personne n' est venu me demander de dire du bien d'un film de jeune. lls ne pensent pas à demander à des anciens de les aider. Nous, on était soutenus.
lls sentaient en moi quelqu'un qui leur rappelait leur jeunesse. Cocteau avait eu du mal à faire des films, alors il me découvrait dans la situation où il se trouvait à l'époque et il me comprenait.

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A l'époque déjà, on vous qualifiait de misogyne ?

Oui, mais je ne suis pas misogyne. Les gens croient que je suis misogyne parce que je montre les femmes avec leurs défauts. J'ai fait deux ou trois films très féministes, en particulier les Compagnons de la marguerite et les Vierges. Cela dit, effectivement, I' homme est un peu rude pour parler des femmes. Le seul qui aurait pu écrire un très beau rôle de femme, c'est Marcel Aymé, mais, dans le film qu'on a fait ensemble, il n'y avait pratiquement pas de femmes.
Dans mes films, les femmes subissent la même détérioration que les hommes. Pourquoi devrait-on être plus poli parce qu'il s'agit de femmes? Au fond, ce que les femmes reprochent à mes films, c'est d'attaquer leur hypocrisie. Par nature, les femmes sont autant, sinon plus, hypocrites que les hommes.
Du seul fait qu'elles n'ont pas besoin d'avoir une érection. Une femme n'a pas besoin de montrer qu'elle est satisfaite, elle peut le simuler. Un homme ne peut pas. Par cette différence physiologique, il est certain qu'il y a un tout petit peu plus d'hypocrisie chez la femme.
En plus, comme elle est, en principe, physiquement plus faible que I' homme, elle a peur et elle est obligée de cacher ses sentiments. Ça, c'est l'évidence. C'est la nature qui le veut. Alors quand on met à nu des caractères, la femme peut apparaître, dans mes films, plus touchée que I' homme, qui n'est pourtant pas épargné.
Je ne suis pas mysogyne. Ce sont les femmes qui n’aiment pas qu’on les montre telles qu'elles sont et veulent qu'on les idéalise. C'est de la coquetterie.

Vous m'avez dit l'autre jour que l'Etalon était un film à la gloire de la femme.

Ce n'est pas un film à la gloire de la femme dans la mesure où elle est présentée comme ayant des vapeurs... Ce n'est pas de ma faute si certaines ne se font pas baiser par leurs maris. Dans les caravanings, il est reconnu que les mecs vont baiser sur la plage avec d'autres filles et laissent leur bobonne faire la lessive. Et la plupart l' accepte.
Je crois que la paresse de la femme est moins spectaculaire que la paresse de I'homme, plus romantique. La paresse de la femme se cache derrière trois assiettes qu'elle lave, alors que celle de I' homme se cache plutôt dans les histoires qu'il raconte : « Je vais faire ci ou ça », alors qu'il ne fait rien du tout. Je parle des couples de I'Etalon, parce gue tout le monde ne fait pas sa vaisselle... Alors, c'est celui qui se tire pour faire des parties de boules, ou regarder le cul des jeunes filles, qui est misogyne. Pas moi. Pas moi, qui prends la défense de cette pauvre mémère. Je la prends dans mon sein et je lui dis : « Va te faire baiser par des étalons-maisons. Ainsi, tu seras équilibrée, tu seras heureuse. » C'est une philosophie d'homme des cavernes. C'est du troc.

Pour vous, la définition du snob c'est : être ce que l’on n'est pas, jouer le jeu social ?

Le snob, c'est n'importe qui, vous ou moi. Si j'affirmais, dans tous les entretiens, que je suis l'homme qui fait les films les moins chers du monde, je serais un snob. Ce serait une façon de me créer un personnage. Le snobisme a trop été limité à des gens qui avaient I' air pédant.
En réalité, il y a plein de snobs partout. Le snob, c'est celui qui n'ose pas dire ce qu'il est. C'est I' hypocrite. Snob et hypocrite, c'est presque synonyme. Un boucher qui coupe de la viande en disant : « Madame la Marquise, j'ai 28 hier soir la pièce de Sartre… »
Ou le poissonnier qui veut se hisser à la hauteur des snobinards qui viennent lui acheter des crevettes. Au lieu d'être ce qu’il est, ll va faire semblant d'avoir écouté la même émission que I'avocat du coin. Ou encore le type qui dit : " J'ai été bouffer dans un petit bistrot, alors qu'on sait qu'il ne fréquente que les grands restaurants. Le snobisme est à tous les degrés. « Ah ! ma maladie, elle est mieux que la vôtre », « La science dit que je suis un cas… »,, des conneries de ce genre, c'est encore du snobisme.

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Quand vous dîtes que vous faites des films avec peu d'argent, ce n'est pas du snobisme, puisque c'est vrai.

Ça n'est pas possible de faire autrement. Ce qui serait du snobisme, c'est d' avoir de I' argent et de réaliser des films pauvres.
Prenons Louis Malle, pour le citer, qui est allé s'occuper, à Calcutta, de déplacer des morts. Je trouve que ce n'est pas son rôle. C'est un crève-la-faim qui doit faire un film sur Calcutta.
Alors, on me dira : « Vous êtes sectaire ». Non, mais quelqu'un qui a plein de pèze n'a pas le droit de toucher à un mort hindou. ll doit donner sa fortune avant de toucher le mort.
Il ne doit pas venir ainsi, à Bombay, et dire : « Mettez ces morts là », puis, après avoir bu un café : « On va les filmer ». Je trouve cela indécent. Donc, c'est un snob.
Sinon quel est son intérêt ? Ge n'est pas un intérêt humanitaire, sinon il s'engagerait dans la Croix Rouge. Ou alors, qu'il ne fasse que de tels films . Mais, le faire une fois, pour dire : « Je suis allé à Calcutta. Je vais vous montrer la misère de ces gens », c’est épouvantable !
Un jour, j'étais à I'lNA et on me dit : « On est en train d'aider un gars, c'est le fils Bombel. » - « Quoi ? Vous êtes en train de donner une subvention à un fils Bombel et moi, vous ne me donnez rien. – « Mais il est tellement charmant ce garçon »,. Et il faisait un film sur les Nords-Africains en disant : « Quels pauvres émigrés ! » Qu'est-ce qu'il avait à faire un film là-dessus ? Complètement dément ! Et les gens applaudissent à deux mains, ils disent : « C'est formidable ! »

Ensuite, vous avez tourné les Vierges.

C'est une histoire sur mes regrets, sur la jeune fille. Le contraire de la mysoginie. Je regrette l'époque de la virgnité. Quand il y avait des vierges, il y avait moins de drogue. Et, finalement, s'il y a moins de vierges, c'est parce qu'il y a plus de drogue. C'est une balance entre la drogue et la virginité.
Les statistiques ont prouvé que toutes les filles qui se droguent, et presque toutes le font, même si elles ne continuent pas par la suite, ont un manque à un moment donné. Elles finissent alors par se prostituer pour se procurer de la marchandise. ll y a détérioration de la virginité par des éléments extérieurs. Je trouve que c'est dommage.
Alors, en 1962, je m'étais rendu compte de ce qui allait se passer. C'était bien avant Christina F. J'avais demandé à des jeunes filles de me raconter sainement pourquoi elles s'étaient fait dépuceler. ll y avait celle qui en avait tellement envie qu'elle ne pouvait attendre, celle qui s'était mariée et était obligée de se faire baiser par un type qui n'en était pas capable. Comme toutes les sacrifiées du mariage catholique, elle allait en conserver un souvenir épouvantable.
ll y avait celle qui faisait une affaire de sa virginité et puis la petite qui n'arrivait pas à se faire dépuceler parce qu'elle ne savait où aller pour ça. La dernière, la plus dramatique, gardait sa virginité pour un type plus âgé qu'elle. Mais il n'osait la toucher, alors elle allait se faire dépuceler par un autre afin que I' homme qu'elle aimait n'ait pas de remords. En fait, c'est ce qui avait tué son amour. ll m'avait paru intéressant de définir les cinq grandes raisons qui, en dehors de la drogue et de la prostitution, devaient amener les filles là. Cela me paraissait sain comme propos.

C'est à l'occasion de ce film qu'on vous a traité de satyre ?

C'était Henri Gault, qui était sorti de sa cuisine pour m'injurier, qui a dit cela. ll faisait I' intérim de Paris-Presse, l'lntransigeant et avait écrit : « ll faut coller vingt ans de travaux forcés à Jean-Pierre Mocky » A,RTL, je devais participer à une émission. J'arrive et l'animateur me dit : « Ah ! je me suis baisé une petite de dix-sept ans. C'était vraiment terrible ». Puis brusquement, il réalise : « C'est toi qui a fait les Vierges ! Espèce de salaud ».
J'étais déjà attaqué, même pour ce film qui était un film pour la bibliothèque rose.

Et puis soudain, pour Un drôle de paroissien, toute la presse vous porte aux nues. Même la presse catholique. Est-ce grâce à la présence de Bourvil ?

Quand j'ai présenté le scénario aux églises, on m'a dit : « Vous êtes fou, vous ne pouvez tourner cela dans nos églises. Alors, je les ai menacées de tourner cette histoire de curé qui avait mis une bonne femme enceinte et l'avait tuée ensuite. lls ont eu peur et m'ont donné l'autorisation. La seule chose qu'ils m'avaient demandée, c'est que le prêtre sauve Bourvil de la police. Bourvil était, pour eux, un innocent. Je n'ai pas accepté que ce soit le prêtre qui fasse cela directement. C'est pourquoi, à la fin, l'harmonium se met à jouer et distrait les policiers. Quand ils se retournent, Bourvil a disparu. On sent que le prêtre sait où il est, mais il ne le dénonce pas.
C'est grâce à ce dernier plan que j'ai eu avec moi toute la presse catholique, laquelle a entraîné la presse communiste, curieusement. Les catholiques et les communistes ont trouvé le film génial. Le film a fait un malheur, il a été un triomphe.

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Ne pensez-vous pas que Ia conséquence de cette acceptation générale entraîne une atténuation de la virulence du propos ?

En fait, là-dedans, il y avait surtout la connerie des troncs, rien d'autre. C'était les premières comédies légères. J'avais voulu faire un peu ce que faisait Frank Capra. J'étais très impressionné par I'Extravagant Mr. Deeds. Avec le Paroissien, je voyais une comédie dans ce style avec, en plus, I' originalité du pilleur de troncs, une chose qui n'avait jamais été faite. Bourvil faisait une composition terrible.

Vous souhaitiez travailler avec Bourvil depuis longtemps ?


Oui, il me faisait penser à Spencer Tracy. C'est pour cette raison d'ailleurs que je fais cette comparaison. J'ai toujours pensé que, s'il avait vécu, il aurait fait la carrière de Spencer Tracy.

C'est le succès de Un drôle de paroissien qui vous a incité à travailler à nouveau avec lui ?


Les trois films que j'ai faits avec lui forment une suite. C'est une série, comme certains tandems des comédies américaines. Solo, I'Albatros, le Piège à cons, forment une autre série.

Est-il vrai gue Bourvil désapprouvait le sujet de l'Etalon et qu'il a tout d'abord refusé le rôle ?

Oui, au début, il avait peur du film ; il disait gue les gens allaient hurler. Et puis, peu à peu, il s'est mis dedans et ensuite, il a été très content du film. Cela a été, malheureusement, un des derniers qu'il ait tournés, dans une atmosphère très désagréable. ll était déjà très malade, à tel point qu'un jour, on a même cru qu'il était mort : il était couché sur son lit et ne se réveillait pas. C'était terrible !
On a donc fait ce film comique, qui est un peu teinté d'amertume. ll est avec son chien, au bout d'un fil, et il essaye de s'en aller sur un bateau. J'étais tellement frappé par la maladie de Bourvil que je I'avais filmé comme s'il partait ailleurs, dans un autre monde. Quand les gens lui disaient au revoir, après, le bateau partait sans lui. ll y avait toute une interprétation par rapport à sa maladie.

Comment le film a-t-il été reçu par le public ?

Quand les mecs arrivaient avec leurs femmes pour voir un Bourvil et qu'ils comprenaient, dès la cinquième minute, que la femme se suicidait parce que son mari ne la baisait pas et qu’il voyait Bourvil I’ examiner comme un vétérinaire, hop, ils emmenaient leurs femmes et sortaient. Cela s'est passé dans toutes les villes de province. Les directeurs de salles I' ont constaté.

La Bourse et la vie était-il un film de commande ?

Au départ, c'était un film de commande. il se situait à la suite du succès du Corniaud. La Columbia cherchait un autre film de ce genre. J'avais tourné le Paroissien, qui avait bien marché. lls se sont dit : « On va prendre Fernandel et Heinz Ruhmann, qui est un acteur allemand très connu, celui qu'on a appelé « le comique d’Hitler » parce qu'il faisait rire le fuhrer. »
Ça a été très difficile parce que I'Allemand n'avait Pas beaucoup d'humour. J'avais pensé à Fernandel et Robert Lamoureux. Mais Fernandel ne voulait pas travailler avec lui. Il souhaitait qu'il joue le rôle de Poiret. Des tas de salades de ce genre...
Finalement, ce film est considéré par tes cinéphiles comme mon meilleur. Ce n'est pas mon avis. A la Cinémathèque, on le projette chaque fois dans des grands éclats de rire.
C’est un film d'une dérision totale qui ne présente aucun intérêt. Les personnages sont intéressants. Ça rejoint le Roi des bricoleurs qui est certainement mon plus mauvais film. Des films où les sujets n'ont pas d’intérêt parce qu'ils sont cons. C'est vrai ! en quoi est intéressante l'histoire de deux types qui n'arrivent pas à se débarrasser de 15 millions ? C'est con comme la lune, deux types qui tapent sur un marteau. Ce ne sont pas les films sont cons, ce sont les sujets. Mais ils sont volontairement choisis pour... Alors il v a des gens qui les voient au deuxième degré. Ce sont des snobs, en quelque sorte, qui aiment ces films-là.

Votre expérience avec Fernandel a-t-été aussi intéressante qu' avec Bourvil ?

Ce n'est pas le même genre. Fernandel est très vedette américaine. Comme Sordi. Ils se prennent pour des caïds et c'est très difficile de travailler avec eux Mais enfin, j'ai quand même réussi à leur enlever leurs grimaces.

Propos recueillis par
Gilles Dagneau
(Janvier 81)

(1) les Egarés (Gll Sbandati de Francesco Maselli,1954)

(2) Elvire Popesco produisait la pièce.

(3) NDLR : dans le dossier de presse du Guignolo, on lit : 1950 : porte une hallebarde au théâtre de la Huchette dans « Gloriana sera vengé » de Cyril Tourneur. 17 acteurs sur scène, 7 spectateurs dans Ia salle.
(à suivre…)

Après nous avoir raconté ses débuts d'acteur et de metteur en scène, Jean-Pierre Mocky s'étend longuement sur ses films et l'accueil contradictoire qu’ils ont reçu, dans la seconde partie de cet entretien que nous publierons dans notre numéro d'avril. Gilles Dagneau concluera ce dossier par une étude sur l’univers spécifique de cet auteur et la place qu'il occupe dans Ie cinéma français contemporain.